Neisseria gonorrhoeae

Neisseria gonorrhoeae, le gonocoque est une bactérie responsable d’infection sexuellement transmissible (IST).

CARACTÉRISTIQUES BACTÉRIOLOGIQUES

TAXONOMIE

Embranchement des Proteobacteria, famille des Neisseriaceae, genre Neisseria.

CARACTÈRES CULTURAUX ET D’IDENTIFICATION

Cocci à Gram négatif, disposés en diplocoques, aspect en « grain de café » (figure II.10.1).
▶ Immobile, non sporulée.
▶ Aérobie stricte et exigeante, nécessitant des milieux de cultures enrichis : géloses au sang cuit (chocolat PolyViteX®) sans et avec antimicrobiens permettant l’inhibition de bactéries commensales.

Figure II.10.1 Détail de « Coloration de Gram d’un prélèvement positif à gonocoque ». Source : site https://www.cnr-ist.fr, photothèque de l’hôpital Saint Louis.

FACTEURS DE VIRULENCE

▶ Facteurs d’adhésion (pili de type IV, protéine d’opacité Opa, lipo-oligosaccharide LOS, porine PorB).
▶ Sécrétion IgA protéase : clivage anticorps des muqueuses.
▶ Remarque : l’infection conduit à une immunité limitée ; l’hôte peut ainsi rapidement se réinfecter.

DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES

Les infections à gonocoque (appelées gonococcies) ne faisant pas l’objet d’une déclaration obligatoire, il n’existe aucun recueil exhaustif de données.
▶ Dans le monde : selon l’OMS en 2016, le nombre de cas de gonococcies est estimé à 78 millions.
▶ En France :
▪ recrudescence des gonococcies depuis 1998 ;
▪ en 2016 : environ 50 000 infections ;
▪ infections plus fréquentes chez les hommes (HSH = hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes) que les femmes, et chez les 15–24 ans ;
▪ gonococcies anorectales en progression depuis 1995.

PHYSIOPATHOLOGIE ET MANIFESTATIONS CLINIQUES

HABITAT

Réservoir strictement humain (bactérie très fragile, ne survivant pas dans le milieu extérieur).

PHYSIOPATHOLOGIE

Transmission strictement humaine par contact direct :
▶ essentiellement par voie sexuelle (lors de rapports sexuels génitaux, buccaux ou anaux) ;
▪ gonocoque = agent d’infections sexuellement transmissibles (IST) ;
▶ verticale de la mère à son nouveau-né lors de l’accouchement. Physiopathologie chez l’adulte :
▶ période d’incubation silencieuse et contagieuse de 2 à 7 jours en moyenne ;
▶ adhésion et invasion des cellules épithéliales des muqueuses, le recrutement de polynucléaires neutrophiles (PNN) dans lesquels le gonocoque est capable de survivre. L’afflux massif de PNN peut se traduire par un exsudat purulent facilitant la transmission.
Physiopathologie chez le nouveau-né : une cervicite chez la femme enceinte provoque l’infection du nouveau-né lors du passage dans la filière génitale infectée.

PRINCIPALES MANIFESTATIONS CLINIQUES

Principaux sites d’infection : urètre, col utérin, vagin, région anorectale, oropharynx, conjonctives.

INFECTIONS NON COMPLIQUÉES

▶ Chez l’homme, infection symptomatique dans 90 % des cas :
▪ urétrite aiguë : écoulement urétral purulent (jaune verdâtre), brûlures mictionnelles (« chaude pisse »), dysurie.
▶ Chez la femme, infection asymptomatique dans 70 % des cas :
▪ cervicite : forme la plus fréquente se manifestant par des leucorrhées purulentes ;
▪ +/– associée à une urétrite : brûlures mictionnelles, dysurie, dyspareunie.
▶ Chez les 2 sexes, formes muqueuses extragénitales :
▪ oropharyngée (pharyngite), asymptomatique dans 90 % des cas ; ▪ anorectale (ano-rectite), asymptomatique dans 2/3 cas ;
▪ conjonctivite de l’adulte (rare), survient après infection génitale non traitée.

COMPLICATIONS

En l’absence de diagnostic ou en cas d’échec de traitement, l’infection gonococcique peut évoluer vers des formes compliquées.

COMPLICATIONS LOCORÉGIONALES

▶ Chez l’homme :
▪ orchi-épididymite (uni- ou bilatérale) ;
▪ prostatite aiguë.
▶ Chez la femme :
▪ salpingite (aiguë ou subaiguë), avec risque élevé d’obstruction tubaire post-inflammatoire et de stérilité secondaire ;
▪ bartholinite ;
▪ péritonite pelvienne.
▶ Chez les 2 sexes : complications des formes anales = abcès péri-anaux, fistules anales.

FORMES DISSÉMINÉES HÉMATOGÈNES (RARES)

Elles touchent surtout les HSH et la femme (infection de départ non traitée ou passée inaperçue).
▶ Association d’une bactériémie (fièvre), de manifestations articulaires (mono ou oligo-arthrite) et cutanées (pustules entourées d’un halo érythémateux, siégeant aux extrémités).
▶ Autres atteintes exceptionnelles : hépatique, myocardique/ endocardique, méningée.

CHEZ LE NOUVEAU-NÉ

▶ Forme ophtalmologique : conjonctivite purulente bilatérale pouvant aller jusqu’à la kératite avec un risque de cécité.
▶ Cette forme ophtalmologique est rare depuis la prévention par instillation oculaire de collyre à base de rifamycine à la naissance.

Points clés
N. gonorrhoeae est une bactérie responsable d’IST.
● Chez l’homme, la symptomatologie est le plus souvent bruyante (urétrite purulente).
● Chez la femme, l’infection est fréquemment asymptomatique.
● En cas de gonococcie non traitée ou d’échec de traitement, l’infection peut évoluer vers des formes compliquées locorégionales et plus rarement systémiques.
● Chez le nouveau-né, l’infection gonococcique se manifeste le plus souvent par une ophtalmie purulente et bilatérale dont le risque est la cécité.  

DIAGNOSTIC

Le type de prélèvement et la technique à utiliser dépendent du contexte clinique et épidémiologique (tableau II.10.1). Les prélèvements génitaux/urinaires sont à effectuer de préférence le matin au laboratoire avant émission d’urine ou de toilette génito-urinaire.

Tableau II.10.1 Types de prélèvements et méthodes diagnostiques en fonction du contexte (REMIC 6.2 2018).

* Prélèvements à réaliser en fonction des pratiques sexuelles

DIAGNOSTIC DIRECT

EXAMEN DIRECT

▶ Diplocoques à Gram négatif extra et surtout intra-leucocytaires en « grains de café ».
▶ Intérêt dans le diagnostic présomptif rapide des urétrites aiguës purulentes chez l’homme (sensibilité proche de 100 %) ; non préconisé dans les autres cas.

CULTURE ET IDENTIFICATION

Culture = méthode diagnostique de référence chez un individu symptomatique, permet réalisation antibiogramme, voire sérotypage et génotypage (CNR).
▶ Acheminement rapide des prélèvements au laboratoire nécessaire + utilisation milieu de transport (milieu de transport de type Amies par exemple).
▶ Mise en culture sur géloses au sang cuit sans et avec antimicrobiens par exemple géloses VCAT (vancomycine, colistine amphothéricine B, trimétoprime) ou VCN (vancomycine, colistine néomycine), incubées 48–72 heures à 35°C sous 5–10 % de CO2.
▶ Colonies grisâtres (figure II.10.2), identification par :
▪ spectrométrie de masse MALDI-TOF (Matrix Assisted Laser Desorption Ionisation/Time of Flight) ;
▪ ou caractéristiques biochimiques : oxydase et catalase +, galerie API NH® (glucose +, maltose –, γGT-).

Figure II.10.2 Culture de gonocoque. Source : site https://www.cnr-ist.fr, photothèque de l’hôpital Saint Louis.

TESTS D’AMPLIFICATION GÉNIQUE (TAG)

Détection des acides nucléiques de N. gonorrhoeae par amplification génique (PCR).
Avantages par rapport à la culture :
▶ souvent associée à la codétection de Chlamydia trachomatis (et parfois à Mycoplasma genitalium*) ;
▶ applicable à tous les sites de prélèvement (y compris 1er jet urinaire et auto-prélèvement vaginal) ;
▶ milieux de transport stables plusieurs jours, ne nécessitant pas la viabilité de la bactérie ;
▶ excellente sensibilité (> 95 %), supérieure à la culture, surtout dans les formes asymptomatiques et localisations anales et pharyngées ;
▶ délai de rendu plus court.

DIAGNOSTIC INDIRECT

Pas de diagnostic sérologique.

Points clés
Toute suspicion d’urétrite ou de cervicite doit être confirmée microbiologiquement avant traitement, pour :
● confirmer le diagnostic ;
● réaliser un antibiogramme (adaptation du traitement antibiotique probabiliste si nécessaire) ;
● surveiller l’épidémiologie de ces infections.
Pour les formes symptomatiques, la culture est la méthode de référence.
Pour les formes asymptomatiques, les tests d’amplification génique offrent une meilleure sensibilité que la culture.

SENSIBILITÉ AUX ANTIBIOTIQUES ET ANTIBIOGRAMME

Réalisation d’un antibiogramme en systématique par détermination des concentrations minimales inhibitrices (CMI) (E-test® ou équivalent) sur gélose chocolat PolyViteX®.
▶ Tester céphalosporines de 3e génération (C3G : céfixime et ceftriaxone), azithromycine et ciprofloxacine +/− tétracyclines.
▶ En parallèle, détecter la production de bêta-lactamase par une technique chromogénique (ex. céfinase®). Interprétation de l’antibiogramme :
▶ La présence de bêta-lactamase (14 % des souches) signifie une résistance à haut niveau aux pénicillines (pénicilline G, aminopénicillines, carboxy- et uréido-pénicillines).
▶ Souches résistantes au céfixime très rares en France (0,2 %) et/ou à la ceftriaxone qui sont exceptionnelles en France.
▶ Fluoroquinolones : ~ 60 % de résistance (en augmentation).

TRAITEMENT

Un traitement rapide et efficace doit être entrepris du fait de la contagiosité et de la gravité des complications. Ce traitement est conditionné par la sensibilité aux antibiotiques. L’utilisation des fluoroquinolones en probabiliste n’est plus recommandée (taux élevé de résistance).

Points clés
● Un antibiogramme est indispensable sur toute souche isolée en culture.
● Il faut rechercher la production de bêta-lactamase et une diminution de sensibilité aux C3G.

INFECTIONS NON COMPLIQUÉES (URÉTRITE, CERVICITE, ANORECTITE, PHARYNGITE)

1ERE INTENTION

▶ ceftriaxone IM dose unique (très bien tolérée, très bonne diffusion pharyngée) ;
▶ associer un traitement anti- C. trachomatis si co-infection ou infection non exclue (co-infection dans 15 à 50 % des cas) : + doxycycline per os 2 ×/jour pendant 7 jours (si grossesse, + azithromycine per os dose unique).

ALTERNATIVES (HORS ATTEINTE PHARYNGÉE)

▶ Si allergie céphalosporines : gentamicine IM dose unique + azithromycine per os dose unique ;
▶ Si ceftriaxone IM non disponible : Céfixime per os dose unique, en associant un traitement anti-C. trachomatis si co-infection ou infection non exclue.

FORMES COMPLIQUÉES LOCO-RÉGIONALES ET FORMES DISSÉMINÉES

Ceftriaxone IV pendant au moins 7 jours.

PRÉVENTION

Prise en charge globale des gonococcies et prévention :
▶ rapports sexuels protégés (utilisation de préservatifs) jusqu’à la vérification de la guérison ;
▶ dépister et traiter les IST éventuellement associées (dépistage par PCR de C. trachomatis ; dépistages sérologiques : syphilis, HIV, hépatite B, hépatite C) ;
▶ proposer les vaccinations lorsqu’elles existent (HBV, HAV et HPV) ;
▶ dépister et traiter le (les) partenaire(s) récent(s) ou habituel(s). Consultation de suivi à J7 systématiquement (et à J3 en cas d’échec clinique) :
▶ vérification de la guérison clinique ;
▶ effectuer un contrôle microbiologique :
▪ si échec clinique ;
▪ ou si traitement par autre molécule que la ceftriaxone (contrôle obligatoire de tous les sites infectés à J0) ;
▶ donner les résultats des autres sérologies et des conseils de prévention.

Cas particulier du nouveau-né, recommandations de l’AFSSAPS de novembre 2010 :
▶ antibioprophylaxie conjonctivale néonatale recommandée en cas d’antécédents et/ou de facteurs de risque d’IST chez les parents (grossesses non ou mal suivies considérées comme facteur de risque) ;
▶ repose sur l’instillation d’une goutte de collyre de rifamycine dans chaque oeil du nouveau-né à la naissance.

Points clés
● La gonococcie est une urgence médicale.
● La ceftriaxone est le traitement de référence des gonococcies.
● Les fluoroquinolones ne sont plus recommandées en 1re intention du fait d’une résistance acquise importante.
● Le traitement est associé à la prise en charge du partenaire, un dépistage des autres IST et des conseils de prévention.