Infections du tube digestif

Les infections du tube digestif peuvent être divisées en deux grandes catégories ; d’une part, les diarrhées avec notamment les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) et les gastro-entérites qui sont très fréquentes et communautaires ; d’autre part, les infections ou surinfections profondes plus limitées en nombre et fréquemment associées aux soins.
Une diarrhée se définit comme l’émission trop rapide et fréquente de selles liquides ou molles soit plus de 300 g/ mL eau/24 h. Elles peuvent être parfois glaireuses ou hémorragiques. La diarrhée peut être aiguë (24 à 48 h avec une évolution < 2 semaines), prolongée (évolution 2–4 semaines) ou chronique (évolution > 4 semaines), fébrile ou non, associée à d’autres signes digestifs tels des vomissements et/ou des douleurs abdominales intenses. Les diarrhées infectieuses aiguës sont d’origine virale, bactérienne ou dues à des parasites. Les diarrhées de plus de 14 jours sont souvent d’origine parasitaire, en particulier en cas de retour de voyage ou chez l’immunodéprimé. Les diarrhées chroniques sont le plus souvent non infectieuses. Les diarrhées peuvent également être secondaires à un traitement antibiotique (dysbiose).

ÉTIOLOGIE – PHYSIOPATHOLOGIE

Le tableau clinique au cours d’une infection intestinale dépend des mécanismes de virulence du micro-organisme et des moyens de défense de l’hôte. La contamination est essentiellement orofécale et manuportée, ou par ingestion d’aliments ou d’eau contaminés. Une transmission inter-humaine secondaire par défaut d’hygiène des mains est possible (notion de péril fécal). Il existe des porteurs sains potentiellement contaminants.
Les virus sont responsables de 80 % des diarrhées aiguës (rotavirus, norovirus…). Les gastro-entérites virales (diarrhée, douleurs abdominales, vomissements) surviennent souvent chez les enfants de moins de trois ans (rotavirus) ou les personnes âgées, et sont de courte durée, mais peuvent évoluer très rapidement vers une déshydratation. Les entérovirus, virus de transmission orofécale, peuvent aussi être responsables de signes digestifs mais associés à d’autres symptômes comme angine, méningite…
Un micro-organisme entéropathogène peut être virulent par différents mécanismes (tableau I.4.1) :
▶ libération d’une toxine responsable d’une atteinte de la fonction sécrétoire. Le tableau clinique est celui du syndrome cholériforme (modèle Vibrio cholerae). La bactérie peut se fixer à la surface de l’épithélium digestif sans le détruire et produire sa toxine in situ. La toxine peut aussi être présente dans l’aliment et directement absorbée. Elle agit le plus souvent au niveau de l’AMP cyclique en activant l’adénylate cyclase, ce qui entraîne une sécrétion accrue d’eau et d’électrolytes par les cellules de l’intestin grêle ;
▶ mécanisme invasif des bactéries avec destruction des villosités intestinales à l’origine de troubles de la fonction d’absorption. La bactérie envahit les cellules épithéliales et s’y multiplie, entraînant des ulcérations de la muqueuse intestinale. Les lésions de la muqueuse se propagent de cellule en cellule, une intense réaction inflammatoire s’installe, ce qui explique la présence de sang, de pus et de glaires dans les selles. Le tableau clinique est celui du syndrome dysentérique (modèle Shigella dysenteriae).
▶ L’invasion peut aussi ne pas entraîner de destruction de la muqueuse digestive : les bactéries pénètrent alors dans les tissus sous-muqueux et mésentérique et s’y multiplient dans les macrophages, avec une réaction inflammatoire locale intense. Le tableau clinique est alors celui d’un syndrome gastro-entéritique ;
▶ L’association des 2 mécanismes est possible.
Les éléments d’orientation diagnostique doivent tenir compte de :
▶ l’âge du patient : recherche de germes néonataux, E. coli entéropathogène (EPEC), rotavirus du groupe A (agent étiologique majeur des gastro-entérites infantiles) ;
▶ la date de début des signes ;
▶ le caractère isolé ou l’existence d’une TIAC, et le type d’aliment potentiellement contaminant ;
▶ la notion de voyage récent en zone tropicale ;
▶ la prise récente d’antimicrobiens ;
▶ l’état immunitaire du patient (notamment SIDA, traitements immunosuppresseurs) ;
▶ la durée d’hospitalisation. Le microbiote intestinal (anciennement flore intestinale) est composé d’environ 1011 bactéries/g de selles, dont la grande majorité est anaérobie stricte. Les entérobactéries ne représentent que 5 à 10 % du microbiote et sont principalement constituées d’E. coli. Il faut donc isoler le pathogène au sein d’un microbiote complexe. Cela sera réalisé directement sur la selle par recherche d’antigène, de génome ou par isolement en culture. La coproculture consiste à rechercher et identifier les bactéries ou parasites pathogènes responsables de la diarrhée, les virus entériques ne sont pas cultivables.
La recherche de micro-organismes responsables de diarrhées infectieuses se fera en fonction du contexte et de l’aspect des selles :
▶ coproculture standard (ex. : en l’absence de renseignements cliniques) : recherche de Salmonella, Shigella, Campylobacter, Yersinia ;
▶ chez l’enfant < 2 ans : rechercher en priorité un virus (rotavirus…), S. aureus, EPEC ;
▶ bactéries à rechercher devant un tableau particulier :
▪ syndrome cholériforme : E. coli entérotoxinogène (ETEC ; diarrhée du voyageur) ; Vibrio cholerae (notion de voyage en zone d’endémie),
▪ syndrome dysentérique : Shigella, E. coli entéro-invasif (EIEC) ;
▪ diarrhée hémorragique/syndrome hémolytique et urémique (SHU)] : E. coli producteurs de Shiga-like toxines ou vérotoxines (codées par les gènes stx1 et stx2), E. coli entérohémorragique (EHEC) ;
▪ toxi-infection alimentaire collective (TIAC) : recherche de l’agent pathogène dans les selles et dans l’aliment incriminé :
– toxi-infection alimentaire d’incubation courte (1 à 4 h) non fébrile : S. aureus (toxine responsable des troubles digestifs présente dans l’aliment) ;
– toxi-infection d’incubation longue (12 à 76 h) : Salmonella, Campylobacter ;
▪ diarrhée secondaire à un traitement antibiotique = dysbiose : Clostridioides difficile.

Tableau I.4.1 Agents infectieux responsables d’infections digestives, tableaux cliniques et épidémiologie.

PRÉLÈVEMENT

Les selles sont conservées à 4 °C, afin d’éviter la dessiccation et la prolifération des bactéries et des levures commensales. Un milieu de transport peut être utilisé.

DIAGNOSTIC

RECHERCHES BACTÉRIOLOGIQUES

Le diagnostic s’effectue grâce à un examen de selles qui recherche classiquement les Salmonella, les Shigella et les Campylobacter (coproculture) :
▶ examen microscopique : état frais et Gram pour mettre en évidence la présence ou non de leucocytes et de bactéries mobiles et apprécier l’équilibre du microbiote intestinal (examen peu informatif) ;
▶ mise en culture et identification : isolement sur des milieux de culture sélectifs. Les colonies suspectes sont identifiées par MALDI-TOF. L’identification est complétée par un sérogroupage pour les Salmonella. L’espèce est confirmée par agglutination pour les Shigella. Un antibiogramme sera réalisé si nécessaire.
▪ milieux d’enrichissement liquides :
Salmonella : Müller-Kauffman ;
▪ milieux sélectifs gélosés :
Salmonella, Shigella : Hektoen, XLD (Xylose Lysine Desoxycholate), SS (Salmonella-Shigella) par exemple ou milieux chromogènes (Salmonella…) ;
Campylobacter : Karmali ou Campylosel en atmosphère microaérophile ;
C. difficile : milieu sélectif (par exemple : CCFA, cycloserine- cefoxitin fructose agar).

RECHERCHES PARTICULIÈRES

▶ Pour les E. coli pathogènes (isolement sur gélose de Drigalski).
▶ Pour les S. aureus (isolement sur gélose de Chapman).
▶ Recherche possible des gènes codant certains facteurs de virulence (entérotoxines, stx1 et stx2…) par PCR.
▶ Recherche d’antigènes dans les selles : par immuno-chromatographie sur membrane :
C. difficile : GDH (glutamate déshydrogénase)/toxines A et B ;
Campylobacter.
▶ Recherche simultanée des agents pathogènes et/ou leurs résistances aux antibiotiques par l’utilisation de panels syndromiques :
▪ antibiogramme à réaliser, si besoin, selon les recommandations en vigueur ;
▪ maladies à déclaration obligatoire : TIAC, fièvre typhoïde, botulisme, choléra.

RECHERCHES VIROLOGIQUES

Ce diagnostic n’est pas pratiqué pour les infections communautaires qui régressent rapidement. Il est indiqué en cas d’épidémie en collectivité, de diarrhée chez le nourrisson avec déshydratation ou chez l’immunodéprimé.
Recherche d’antigènes (Ag) viraux : rotavirus, adénovirus 40 et 41.
▶ Tests immuno-chromatographiques sur membrane (rotavirus…).
▶ Tests ELISA, directement sur extraits de selles (rotavirus…). Recherche du génome viral : PCR ou RT-PCR ou panels syndromiques.

TRAITEMENT

Traitement antibiotique souvent inutile (seulement réhydratation et traitement symptomatique) :
▶ diarrhées virales, contextes gastro-entéritiques non sévères et sans terrain à risque de complications ;
▶ syndrome cholériforme non sévère (V. cholerae : réhydratation +++), S. aureus, salmonellose non typhique.
Apport hydrique associant des électrolytes = solutions de réhydratations orales ou parentérales en fonction de la perte de poids chez les nourrissons.
Traitement antibiotique indiqué selon la gravité :
▶ syndrome cholériforme ou gastro-entéritique sévère (fièvre > 38,5 °C, > 6 selles/j) ;
▶ terrain à risque de complications (âges extrêmes de la vie, déficit immunitaire, drépanocytose, prothèse endovasculaire, anévrisme de l’aorte) ;
▶ syndrome dysentérique fébrile. Le choix des molécules et la durée dépendent des pathogènes identifiés.

PROPHYLAXIE

En premier lieu l’hygiène des mains et la qualité des eaux (assainissement) sont les principaux moyens de prévention de la transmission des gastro-entérites et des diarrhées infectieuses.
▶ Vaccinations
▪ Il existe une vaccination contre les infections à rotavirus (cf. fiche rotavirus) ;
Salmonella Typhi (cf. fiche Salmonella) ; vaccination anti-typhoïdique recommandée aux voyageurs dans certains pays.
▶ Prévention des TIAC
Hygiène (hygiène agroalimentaire, respect de la chaîne du froid, éducation sanitaire…) et surveillances/contrôles (surveillance médicale du personnel, analyse microbiologique des aliments…). Une enquête épidémiologique sera menée par les médecins inspecteurs de l’agence régionale de santé (ARS), parallèlement à des enquêtes microbiologique et sanitaire.
▶ Prévention des infections nosocomiales Hygiène des mains (SHA, solution hydroalcoolique), précautions complémentaires contact.